L’Appel — Yann Laubscher

L’Appel (The Call)L’appel du voyage, du retour à la nature, il est temps de partir explorer. Je parle d’exploration, celle du siècle dernier, quand de grands photographes revenaient de vallées et de forêts oubliées, avec d’innombrables souvenirs et les yeux emplis d’émotions. Ernst Jünger, dans son Traité du rebelle (1), prescrit « le recours aux forêts » à celui qui veut se retirer de la laideur du monde. Thoreau, cent ans plus tôt, s’était retiré dans le silence d’une cabane forestière pour mieux se « naturaliser » et rédiger le pamphlet Walden ou la Vie dans les bois (2). Initié il y a 5 ans, en Russie, ce travail puise ses origines dans ces voyages entrepris dès les années 1960, par des familles russes à la recherche de nature, de solitude, d’espace et de silence. Les rivières, les taïgas, les toundras ou encore les péninsules volcaniques offrent certes une vie rude, mais pleine d’une libre dignité. En choisissant le silence de la thébaïde, on admet la part de poésie qui compte dans le voeu de se reclure, tel un Dersou Ouzala postmoderne et de prendre la « clé des taïgas » (3).Mes photographies créent ainsi un roman qui raconte la traversée d’un groupe de personnes (le fil conducteur est à chaque fois une rivière) sur un territoire à la fois banal et hostile. Et cette histoire se passe quelque part, sans repères chronologiques; mais on y rencontre des personnages. J’aime évoquer le film Stalker d’Andreï Tarkovski. Il y a donc clairement la recherche intérieur d’un climat, d’une tension et d’une friction. C’est pourquoi j’associe portraits, paysages et objets dévoilant cette expérience collective. Plus qu’un documentaire sur les espaces sauvages, ces images sont la trace d’une aventure et le fruit d’une investigation du vase clos dans ces régions oubliées.Ce corpus est bien plus qu’un travail de mémoire personnelle. Je documente les traces de cette vie précaire, expérimentée lors de ces expéditions mais je tente de dresser l’état des lieux, sans concession, de cette nature sauvage en péril. J’ai besoin du territoire russe pour le faire, mais ce n’est pas un travail sur la Russie. On est là-bas dans une sorte d’isolement,  celui du monde sauvage voire de régions oubliées; on y perçoit donc, comme une communion avec la nature.(1) Ernst Jünger, Le Traité du rebelle ou le Recours aux forêts, Points Seuils, 1986(2) H. D. Thoreau, Walden ou La Vie dans les bois, Le mot et le reste, 2010(3) Sylvain  Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Editions Gallimard, 2011

Source : L’Appel — Yann Laubscher

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